Les raisons de la prise en compte relativement tardive du non-recours en France

Le phénomène du non-recours n’est plus dans l’angle mort du champ de vision des pouvoirs publics. La reconnaissance politique du problème public du non-recours conduit aujourd’hui à l’élaboration de réponses publiques pour réduire le non-recours dans le champ des politiques sociales. Cela étant dit, les formes de reconnaissance du non-recours varient selon les champs d’action publique considérés.Dans l’ensemble, la prise en compte du phénomène général de non-recours en France reste relativement tardive par rapport à d’autres pays. Selon la littérature scientifique, les principales raisons de ce retard renvoient à la culture descendante du rapport aux administrés, aux obstacles méthodologiques et empiriques pour mesurer et agir sur le non-recours ainsi qu’à la perception par les pouvoirs publics de divers risques relatifs à la prise en compte du non-recours. Il est important de revenir ici sur ces différents éléments dans la mesure où ils apparaissent également dans le champ des politiques jeunesse et ont ainsi un effet singulier sur le processus de construction du non-recours des jeunes adultes comme problème public. En France, la construction d’un rapport descendant aux administrés et aux destinataires des politiques sociales explique pourquoi le non-recours est longtemps resté à l’état d’impensé. Philippe Warin remarque la prise en compte plus précoce du non-recours dans les pays ayant une plus forte culture de l’évaluation des politiques publiques qui incite les acteurs politiques et sociaux à se rapprocher de leurs publics et à mieux prendre en compte leurs situations, leurs besoins et leurs attentes. En parallèle, certaines représentations et attentes sociales à l’égard des plus pauvres impliquent que les individus fassent eux-mêmes l’effort de solliciter l’aide publique. Selon la logique d’activation des politiques sociales, le non-recours n’est pas nécessairement considéré comme un problème dans la mesure où l’on estime que les individus sont responsables des démarches à entreprendre pour faire valoir leurs droits. Les professionnels peuvent ainsi interpréter le retour autonome des personnes en situation de non-recours vers les institutions publiques comme un signe de motivation. La prise en compte du non-recours se heurte également à différents obstacles méthodologiques et difficultés empiriques. Ces obstacles renvoient d’abord à la difficulté première de prendre la mesure d’un phénomène qui est, par définition, malaisément quantifiable. Se pose en particulier la question des méthodes pour comptabiliser des publics « absents » qui ne figurent pas nécessairement dans les bases de données administratives ou dans les réseaux habituels des travailleurs sociaux. Cette question méthodologique renvoie également aux difficultés empiriques auxquels sont confrontés les acteurs lorsqu’ils cherchent à agir sur le nonrecours, en particulier lorsqu’ils tentent d’identifier, de repérer et de contacter les personnes en situation de non-recours. Si ces obstacles méthodologiques et ces difficultés empiriques sont inhérents à la question du non-recours, en France, ils sont accentués par la complexité de l’environnement institutionnel et réglementaire. La multiplicité des acteurs du champ des politiques sociales, le cloisonnement institutionnel et informatique qui sépare les administrations et segmente les publics, la diversité des droits et des services, la complexité et l’instabilité des conditions pour y accéder, sont autant de facteurs qui renforcent les obstacles méthodologiques et empiriques identifiés.